Flou
En ce temps-là, le monde était complètement flou.
C’était un monde de relative solitude, car les gens, forcément, se voyaient mal et ne s’entendaient guère mieux. On parlait une langue aux contours incertains, on ne savait pas trop comment nommer les choses.
Un jour, pourtant, je trouvai par hasard une brèche dans le magma inconsistant de la réalité. Une infime cicatrice ouverte dans l’épiderme du monde, à travers laquelle je risquai un œil aussi curieux qu’inquiet.
Ce que je vis me figea net. L’acuité du spectacle me saisit d’épouvante : s’étendaient là, à perte de vue, tant de choses à nommer, un tel foisonnement de détails qu’il y avait de quoi devenir encore plus fou que flou.
Bien vite, je recousis la cicatrice et résolus de n’en parler à personne. Mais jamais je ne pus effacer de ma mémoire ce que j’avais entraperçu de l’envers du monde.
En ce temps-là, le monde était comme il est aujourd’hui : complètement, définitivement flou.
Un vieux texte oublié, retrouvé, remanié et complété.
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